Résistant décapité par le colon : Baïdy Kathié Pam, un héros méconnu

Le 10 septembre 1890, 8 jours après que Abel Jeandet, administrateur colonial, a été fusillé à Aéré

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Le 10 septembre 1890, 8 jours après que Abel Jeandet, administrateur colonial, a été fusillé à Aéré Lao, Baïdy Kathié Pam et ses six coaccusés sont jugés et tués sur la place publique, à Podor. Le colon, qui voulait faire de sa décapitation un exemple pour étouffer toute velléité de révolte, l’exécuta d’une façon atroce. Mort pour des principes qu’il défendit jusque face à la mort, Baïdy Kathié Pam demeure, plus d’un siècle après son exécution, le symbole de la résistance au colon français. Et son esprit de résistant continue de peupler le Fouta.

Par Demba NIANG – Il y a l’histoire de la résistance héroïque de El Hadji Oumar Tall qui restera la plus connue et la plus longue. Dans le Fouta, il y a aussi le combat contre le colon mené par des figures comme Baïdy Kathié Pam. Même s’il n’est pas enseigné dans les écoles, le natif de Guia (à 5 km de Podor) en 1864, n’ayant vécu que 26 ans et 3 mois, a livré bataille contre l’occupant français, provoquant son exécution. Orphelin très tôt, il a quitté son village natal en 1890 pour ne jamais y revenir. Car, en tant que soldat du Lam Toro, il faisait partie du groupe qui devait accompagner l’administrateur colonial jusqu’à Aéré Lao.
Durant le séjour prolongé à Aéré Lao, les colons français étaient dans la préparation pour la levée des troupes en vue de l’annexion du Bosséya et l’arrestation de l’Almamy Abdoul Bocar Kane. Le jeune Baïdy Kathié Pam se donna pour mission de conscientiser les troupes et populations d’Aéré Lao à refuser «d’aider un étranger mécréant à tuer un parent foutanké». Aussitôt informé, Abel Jeandet le convoqua pour le condamner à une amende de 2 bœufs. Comme travail forcé, il lui donna l’ordre de transporter ses bagages durant toute la campagne du Bosséya. Lisant la sentence, l’administrateur indique à Baïdy Kathié Pam qu’il les portera en traversant Guia. Une façon de l’humilier devant ses parents. Mais le condamné répondit à l’administrateur colonial que personne ne verra ce jour. A peine le traducteur finit, Abel Jeandet insulta le jeune homme avant de lui infliger une gifle. En chantant les louanges de Baïdy Kathié Pam, les griots de Toro (partie du Fouta) reprennent les paroles de ce dernier avant qu’il n’eût tiré sur Abel Jeandet. Il lui dit : «Reçois cette balle que tu mérites, toi homme de l’enfer.» Le commis de l’administration coloniale française tomba et mourut sous la pluie le 2 septembre 1890.

La traque et la décapitation
Après la mort de Abel Jeandet, les soldats coloniaux se lancèrent à la traque du jeune Baïdy Kathié Pam. Avec ses complices, il trouva refuge à Mbantou, chez ses parents. Après des jours de recherche, le chef de canton Ardo Mbantou, Abdoul Sidi, envoya une quarantaine d’hommes pour l’arrêter et le livrer à Aubry-Lecomte, administrateur en mission spéciale. Le 10 septembre 1890, après huit jours de traque, Baïdy Kathié Pam et six autres accusés dont Lam Sidiki Sall, sont arrêtés. Ils sont exécutés le matin du 10 septembre 1890 sur la place publique de Podor, en présence des dignitaires du Lam Toro convoqués par l’administrateur colonial. Pour dissuader toute forme de révolte, la décapitation de Baïdy Kathié Pam est faite d’une manière atroce. Dans ses dernières paroles devant l’assistance, il se vanta de rejoindre le paradis pour avoir tué un «mécréant». Ainsi sa tête est séparée du reste de son corps et l’administrateur colonial se donna les gages de lui faire barrage au paradis en interdisant son inhumation, puis de jeter son corps en pâture aux crocodiles dans le fleuve Sénégal. Sa tête mise au bout d’une pique dressée dans un ravin à l’entrée de Podor. Un ravin, très connu des Podorois, qui porte son nom, «Thiatngol Baïdy» (ravin de Baidy en Pulaar). Mais c’est sans succès pour le colon car quelques jours plus tard, le corps de Baïdy Kathié Pam a été repêché par des pécheurs qui l’enterrèrent sur le pied d’un arbre, entre les villages de Doué et Ngaolé. Une sépulture toujours bien entretenue et fréquemment visitée par des touristes. L’exposition de la tête commençant à créer des remous, l’administration coloniale autorisa son enterrement au cimetière de Thioffi (un quartier de la ville de Podor).

Un héros anti-colonial immortalisé pour ses principes
C’est un homme qui était attaché à son terroir. A 26 ans déjà, Baïdy Kathié Pam était imbu de patriotisme et des valeurs islamiques. Pour lui, il était hors de question d’appuyer un «mécréant pour anéantir des frères musulmans». Le jeune homme, avant de tuer l’administrateur français, formula une phrase qui est restée encore dans le langage des Foutankés : «Torodo yida gasthié, poulo hoynétaké (le Torodo hait l’humiliation, le déshonneur en Pulaar).» Il conseilla jusqu’à ses dernières volontés, à la désobéissance au colon et de leur tenir tête en les combattant. Alors que la mort l’attendait, Baïdy Kathié Pam demanda, sous l’autorisation de l’administrateur colonial, à Farba Baguel, le griot de Guédé, de chanter les louanges de Lam Toro Sidiki Sall. Et les dernières paroles de Baïdy Kathié Pam ont été : «Je meurs très jeune, mais la tête haute ici-bas et dans l’au-delà.»
Même s’il n’a pas laissé de descendant, Baïdy Kathié Pam est éternel. Décédé à l’âge de 26 ans, il a vécu une vie intense qui meuble des mémoires et des thèses. 132 ans après sa mort, il demeure une fierté pour les Foutankés. On croirait qu’il a vécu plusieurs décennies tellement son nom et son œuvre sont répandus. Baïdy Kathié Pam est dans la conscience collective des Foutankés, «celui qui a lavé l’affront». Ce vers lui est dédié pour chanter sa bravoure et dénoncer la trahison dont il a été victime : «Celui qui a lavé l’affront et qui fut trahi par ses parents et livré à l’administrateur colonial…»
Correspondant

 

Source: lequotidien.sn