Pour que l’audiovisuel à l’ère du numérique serve l’Homme Par Medellah Ould Bellal Membre du Conseil de la HAPA

Le 16 et 17 novembre 2023, la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) a organisé dans

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Le 16 et 17 novembre 2023, la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) a organisé dans le cadre de la mise en œuvre du programme du Réseau Francophone de Régulateurs des Média (REFRAM) un colloque international sous le thème « l’audiovisuel à l’ère du numérique : acquis et défis ».

Ce colloque à vue la participation de la plupart des Présidents des Autorités membres du réseau ainsi que celle d’experts nationaux et internationaux et des représentants des opérateurs nationaux et internationaux.

Les débats ont été riches, passionnants et ont porté sur les différents sujets liés à la thématique à savoir : les enjeux techniques, économiques et culturels de la convergence de l’audiovisuel avec le numérique, les expériences des pays membres du FEFRAM et les stratégies pour s’adapter à cette situation. Un document est sorti de cette rencontre, dénommé « Déclaration de Nouakchott sur l’audiovisuel à l’ère du numérique » (voir l’encadré)

La déclaration de Nouakchott sur l’audiovisuel à l’ère du numérique

La déclaration de Nouakchott sur l’audiovisuel à l’ère du numérique reconnait l’importance de l’audiovisuel dans la préservation de la diversité culturelle, de la démocratie, de la liberté d’expression, du pluralisme médiatique et de la créativité.

Elle considère que la régulation des plateformes et des réseaux sociaux est une responsabilité multipartite. Elle assoie les bases d’une gouvernance multipartite de l’audiovisuel à l’ère du numérique et définit les rôles et les responsabilités.

Elle a pour objectif de renforcer la transparence des plateformes, d’assurer la viabilité des médias et de promouvoir l’esprit critique auprès des utilisateurs.

La déclaration fait des recommandations aux : régulateurs, aux décideurs, aux plateformes, aux opérateurs, à la société civile et aux organisations intergouvernementales.

Mon propos ici n’est pas de rendre compte du déroulé de ce colloque mais plutôt de discuter de la problématique qu’il a soulevée, des questions et des réflexions qu’il a suscitées.

Il peut sembler que discuter de l’audiovisuel à l’ère du numérique, dans un pays qui a, à peine, entamé sa mutation vers la transmission numérique terrestre (TNT) et qui peine à couvrir la totalité de son territoire national par la télévision, est une fuite en avant loin de tout réalisme. C’est ignoré que le numérique est déjà là, se propage à une vitesse supersonique et s’incruste dans les plis et replis de notre vie. Nous consommons, désormais, essentiellement de « l’audiovisuel numérique ».

Nous utilisons ici le terme audiovisuel pour parler de l’ensemble des moyens de communication de masse qui utilisent le son et l’image et le terme numérique pour indiquer les applications qui utilisent un langage binaire qui classe, trie et diffuse des données.

Le choix de ce thème est dicté non seulement par les évidences, ci-dessus mentionnées, mais aussi par la mission qui a été confiée à la HAPA par la loi 2022/022 qui est de réguler en plus de la presse et de l’audiovisuel la presse électronique et les réseaux sociaux.

C’est pourquoi le Président de la HAPA M. Hussein Ould MEDDOU a dans son discours d’ouverture du Colloque indiqué « La HAPA en organisant ce colloque répond, certes, à une préoccupation largement partagée par les organismes de régulation, mais elle répond aussi à un besoin relatif aux nouvelles missions qui lui ont été confiées par la loi 2022/022. En effet la HAPA est désormais chargé de la régulation médias numérique y compris les plateformes des réseaux sociaux ».

La révolution numérique

La Directrice Générale de l’UNESCO Mme Audrey Azoulay parlant du développement extraordinaire des réseaux sociaux lors de la conférence organisée par son Institution le 22 février 2023 sous le thème « Internet for trust » sur la régulation des médias sociaux a constaté que « C’est une révolution qui a d’ores et déjà permis une extraordinaire accélération des échanges, qui a donné naissance à de nouveaux espaces d’expression – et nous pouvons nous en réjouir »

En effet ces derniers temps, l’innovation, les progrès techniques ont non seulement révolutionné nos anciens moyens de communication, mais aussi donné naissance à de nouveaux espaces d’expression.

Le numérique est désormais présent dans la conception, la production, la distribution des produits audiovisuels. L’audiovisuel, considéré comme le moyen de communication le plus répandu et le plus influent, a vu sa présence et son influence renforcées, avec l’apparition de nouveaux modes d’expression, de diffusion et de consommation. L’audiovisuel numérique s’exprime sous différentes formes et à travers plusieurs supports et plusieurs interface.

Le numérique a obligé les médias audiovisuels traditionnels à changer les structures, les méthodes et les rapports entre les leurs différentes composantes. Il simplifie les méthodes de production, de distribution et de consommation des produits audiovisuel.
 

Les réseaux sociaux, nouveaux moyens d’expression, se sont imposés, en quelques années comme l’une des interfaces essentielles dans nos rapports au monde et aux autres. Ils se sont imposés influant sur bien des aspects de notre vie de tous les jours.

Ils ont avec leur spontanéité et leur interactivité, transformé l’audiovisuel. Le numérique a changé l’offre audiovisuelle, la télévision par exemple considérée à l’origine comme un média linéaire (ce qui veut dire que la diffusion de sa programmation répondait à des contraintes temporelles et séquentielles), est devenue avec le numérique une offre non linéaire. Il a donc aidé les médias audiovisuels à surmonter les difficultés liées à leur nature même à savoir la linéarité, et le manque d’interactivité. Le numérique offre des moyens inédits pour les spectateurs d'interagir avec le contenu. Les commentaires, les partages, et les réseaux sociaux créent des communautés autour des œuvres, favorisant l'engagement du public. La multiplication des services de visionnement à la demande donne une plus grande liberté au consommateur. Les plateformes constituées par les services de visionnement à la demande favorisent l’accès à une plus grande quantité et diversité des contenus. Nous pouvons recevoir l’information en tout temps et en tout lieu. Le ciblage des gouts et la segmentation de l’offre que permettent aujourd’hui les algorithmes sont favorables à cette liberté.

Le paradoxe

Cependant, il n’est pas donné à tout le monde de suivre ou de participer à l’évolution technologique qui se réalise à un rythme accéléré sous nos yeux, car elle demande des moyens humains, financiers conséquents et un environnement favorable. Seules quelquesuns seront élus. Ceux-ci, favorisés, justement, par cette technologie et par la globalisation (technologie et globalisation qui se nourrissent mutuellement) se constituent en oligopoles. Ces oligopoles concentrent les moyens de production audiovisuels et les moyens de diffusion, limitant du coup, la qualité de l’offre et en conséquence, la liberté du consommateur.

D’où le paradoxe, la simplification des méthodes de production avec la possibilité pour les individus de produire des vidéos presque instantanément est étouffée par la concentration des moyens au niveau des plateformes internationales.

Dans ce contexte la multiplication des technologies de manipulation d'images et du son a eu comme conséquence, de faciliter la piraterie et la contrefaçon touchant ainsi l’authenticité et l’intégrité de la production audiovisuelle.

Sur un autre plan le suivi des audiences et l’évaluation des impacts connaissent eux aussi de nouvelles donnes. La Médiamétrie traditionnelle n’est plus suffisante pour mesurer l’audience d’une émission. Il faut pour se faire utiliser de nouvelles méthodes pour consolider des audiences au niveau de la télévision, de l’ordinateur, de la tablette et du smartphone.

Les défis

Les médias audiovisuels à l’ère du numérique affrontent des défis de plusieurs ordres : technique, économique, commercial, culturel, éthique et déontologique. Il y a les défis liés à la mutation vers le numérique que des opérateurs audiovisuels doivent surmonter avec leurs conséquences structurelles (personnel compressé, ressources financières réduites etc…). Il y a les difficultés des adaptations aux transformations causées par les innovations, souvent accompagnées de problèmes comme par exemple, la fragmentation du débat public. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’avec les réseaux sociaux on s’enferme au lieu de se rencontrer. Les relations sociales se relâchent laissant place à des ‘’bulles’’ qui se créent virtuellement. Chaque bulle créant ses propres valeurs et normes. Ce qui fait dire à certains que le numérique défait la société.

Cette situation influe sur la commercialisation des produits audiovisuels, l’offre doit répondre à cette fragmentation et la publicité (source majeure de financement des productions) est orientée vers les nouvelles plateformes et les réseaux sociaux. Autant de ressources qui sont retirées aux médias traditionnels.

Dans le domaine de la culture, l’omnipotence de ces plateformes impose leurs valeurs et leurs normes qui sont souvent celles de l’occident. Ce qui menace la diversité culturelle. Le Sud ne se reconnait pas dans cette globalisation. « L’offre est imposée » comme l’a souligné M. Babacar Diagne, Président du CNRA et Vice-Président du REFRAM. L’Afrique en particulier est le parent pauvre et reste faiblement présente dans la production culturelle, « l’écriture numérique de son imaginaire est en fait déléguée aux autres », selon l’expression d’un participant. La culture africaine, malgré sa richesse, est quasi absente. En somme, toute cette évolution est imposée à la grande majorité de la population mondiale qui consomme ce qui est disponible et qu’elle n’a pas produit.

La recherche, seul moyen de rester en phase avec le développement de la technologie et les investissements qu’elle nécessite sont quasiment le monopole des grandes puissances financières (les plateformes internationales en particulier).

La diversité des acteurs, le semblant de chao offert par le nuage des réseaux sociaux présents sur la toile favorise comme nous l’avons indiqué plus-haut la piraterie, la contrefaçon, les fausses nouvelles les discours de la haine, l’incitation à la violence et à la discrimination, au particularisme et au racisme. Autant de comportement que favorise l’absence d’une éthique et de normes déontologiques.

La nécessaire régulation

« Cette situation a conduit à l’émergence d’une réflexion sur les principes de régulation pour que les innovations servent le bien commun et non celui de quelques-uns. Nous avons besoins pour mieux maitriser nos rapports entre nous et entre nous et notre environnement de travailler sur l’encadrement de ces nouveaux médias et d’orienter leur évolution pour qu’ils servent l’humain. L’information est un bien public c’est une ressource pour l’ensemble de l’humanité, les nouvelles technologies doivent profiter à tous » comme l’a souligné M. Hussein Ould MEDDOU, Président de la HAPA, discours d’ouverture du Colloque..

Les principes fondateurs du REFRAM, la stratégie francophone numérique, le DSA européen et les principes pour la gouvernance des plateformes numérique que vient de publier l’UNESCO sont les résultats de ces réflexions et dessinent les contours d’une régulation soucieuse de préserver les normes et valeurs humaines, la diversité culturelle et protéger les citoyens contre « l’omnipotence » des oligopoles.

La régulation est confrontée dans ce conteste à des obstacles majeurs à savoir la multiplicité des canaux, des plateformes et autres formats que permet le numérique. Elle aura à innover pour préserver la richesse, la diversité de l’offre audiovisuelle et assurer la conservation du patrimoine audiovisuel dans sa diversité.

Réguler sans porter atteinte à la liberté d’expression est un impératif que les régulateurs doivent respecter. Pour cela il faut établir des critères clairs pour classer les plateformes en fonction de leur taille et la part du marché qu’elles occupent. Il faut tracer une limite entre ce qui relève du public et ce qui relève du privé.

Il s’agit d’imaginer une réglementation appropriée, accompagnée d’une éducation aux médias et à l’information qui instaure une culture qui permet aux individus de faire des choix en toute connaissance de cause. Les individus doivent être capables de réfléchir d’une manière critique aux informations avec lesquelles ils interagissent. En somme il faut autonomiser les utilisateurs.

Cette culture doit permettre une réduction de la symétrie entre le traditionnel et numérique et mettre ce dernier au service de la société et du citoyen. Les nouvelles technologies ne doivent pas être le vecteur du « bouche à oreille numérique » comme l’a si bien mentionné le Pr. LO Gourmo, mais être la tribune de débats et d’échanges d’idées au service de l’épanouissement des individus et le développement durable des pays.

Pour cela, il faut, en plus de la loi promouvoir le dialogue entre les acteurs, car la régulation est l’affaire de tous (Gouvernements, société civile, opérateurs audiovisuels et de télécommunication, Organisations Intergouvernementales). Cette régulation doit être basée sur des principes acceptés par tous. Une régulation ‘’douce’’ comme les chartes de bonnes conduites et les normes éthiques établies par les acteurs eux-mêmes, doit être encouragée.

D’autre part la régulation dans toutes ses dimensions ne se fait réellement qu’au niveau local, au moment où l’essentiel se fait au niveau mondial, global. Il est donc indispensable de s’unir pour imposer des règles de conduite équitables, favorables à une réduction des inégalités, à travers des accords internationaux.

Le Colloque international de Nouakchott est un pas important vers une plus grande solidarité entre les pays francophones et leur unité face aux plateformes et réseaux sociaux internationaux.

« Face à la nature globale des défis, il nous faut, à travers le monde, apporter des réponses cohérentes, pour se prémunir contre la fragmentation des régulations » UNESCO, ‘’principes pour la gouvernance des plateformes numériques’’, 2023

Les initiatives comme le DSA européens, les efforts continus mis en œuvre dans le cadre des réseaux des régulateurs francophones (REFRAM), africain (RIARC), régionaux (UEMOA) sont les différentes pièces d’un puzzle d’une régulation internationale d’un audiovisuel numérique au service de la démocratie, de la diversité culturelle, de l’équité et respectueux des valeurs et normes universellement admises.

 

Par Medellah Ould Bellal

Membre du Conseil de la HAPA