Kinross engrange des milliards, la Mauritanie récolte des miettes Le dilemme doré de la Mauritanie: profits capitalistes, frustrations locales…Par Costantino Demoro
Friday, 05 Sep 2025 20:00 pm

L'Authentique

En 2024, la multinationale canadienne Kinross Gold a extrait plus de 622 000 onces d’or de sa mine de Tasiast en Mauritanie, contribuant à une année record : 1,73 milliard de dollars de chiffre d’affaires trimestriel, 650 millions de dollars de flux de trésorerie libre et une marge record de 2 204 dollars par once. Pourtant, le retour économique pour la Mauritanie semble modeste en comparaison. Les redevances — plafonnées entre 3 % et 6,5 % uniquement lorsque le prix de l’or dépasse 1 800 $/once — et les impôts sur les sociétés ont rapporté environ 120 à 150 millions de dollars à l’État. À cela s’ajoutent environ 100 à 150 millions de dollars en salaires, rémunérations et achats locaux, ainsi que 50 à 70 millions de dollars d’investissements en infrastructures (routes, énergie, logistique), portant le total des retombées à près de 300 à 370 millions de dollars par an.

Bien que cette somme puisse sembler modeste au premier abord, elle représente en réalité un poids considérable : près de 4 à 5 % du PIB mauritanien, estimé à environ 9,2 milliards de dollars en 2024 — un apport majeur pour l’économie nationale. Les critiques dénoncent la part disproportionnée des bénéfices, les exonérations fiscales accordées à Kinross, ainsi qu’un faible taux de « mauritanisation » de la main-d’œuvre locale, révélant une structure inégalitaire. D’autres rappellent cependant que Kinross a supporté l’intégralité du risque initial, avec plus de 1 milliard de dollars investis, et ne commence que récemment à récupérer ses coûts.
La question centrale demeure : la Mauritanie aurait-elle soutenu la mine si les prix de l’or avaient chuté au lieu de grimper ? Cette asymétrie entre risque et récompense reflète un enjeu plus profond — la tension entre souveraineté nationale et économie extractive globale.

Kinross engrange des milliards, la Mauritanie récolte des miettes

Alors que la multinationale canadienne Kinross Gold affiche des résultats financiers exceptionnels, selon les médias spécialisés, un constat s’impose : la Mauritanie, pays hôte de l’une des plus importantes mines du groupe en Afrique de l’Ouest, ne bénéficie que très marginalement de cette prospérité.

Au deuxième trimestre 2025, Kinross a dépassé toutes les prévisions du marché. Son action a grimpé de 3,3 %, portée par un bénéfice ajusté de 0,44 $ par action — bien au-dessus des 0,32 $ anticipés par les analystes. Le chiffre d’affaires a atteint 1,73 milliard de dollars, soit une progression de 42 % sur un an.

Durant cette période, la société a extrait plus de 512 000 onces d’or, vendues à un prix moyen historique de 3 284 $ l’once. Cette envolée des cours a permis à Kinross de dégager une marge bénéficiaire record de 2 204 $ par once, un bond spectaculaire de 68 %. En parallèle, le flux de trésorerie libre a atteint 650 millions de dollars (+74 %), tandis que le flux de trésorerie opérationnel a flirté avec le milliard de dollar.

Où est la part du pays dans tout ça?

Malgré l’exploitation continue de la mine de Tasiast, pilier de la production de Kinross, l’État mauritanien n’a réellement pas d’influence réelle sur la stratégie commerciale, les volumes exportés ou la fixation des prix.

Malgré ses performances, 622 394 onces en 2024, qui a permis à Kinross de surpasser ses prévisions de 610 000 onces soit  29 % de la production attribuable de la compagnie, il n’y a pas de retour de l’ascenseur au pays source de son embellie financière. Et le déséquilibre des profits tirés ne date pas d’hier. En 2020, l’accord renégocié avec Kinross avait déjà été critiqué: il prévoyait un système de redevances plafonné entre 3 et 6,5 %, applicable uniquement lorsque le prix de l’or dépasse les 1 800 $. Or, à plus de 3 300 $ l’once actuellement, la manne échappe largement au Trésor mauritanien.

Des exonérations fiscales… et des retombées marginales

Comme si cela ne suffisait pas, Kinross continue de bénéficier d’un ensemble d’exonérations fiscales avantageuses : carburant détaxé, remboursements de TVA, etc. Pendant ce temps, ses dépenses locales seraient plus contenues avec des dépenses locales inférieures au seuil des 2 milliards de dollars en 2020, et la masse salariale — désormais sous la barre des 300 millions — interrogent, alors même que la « mauritanisation » des emplois reste partielle.

À Toronto et à New York, les actionnaires peuvent donc se frotter les mains. En Mauritanie, les retombées restent maigres. L’or coule à flots, mais les bénéfices réels pour le pays restent marginaux d’où l’urgent de remettre sur la table la question de la redistribution équitable des dividendes tirées des ressources naturelles et leurs aléas sur notre environnement. A ce stade, c’est Kinross qui gagne des milliards, pendant que la Mauritanie tire les marrons du feu.

Pourquoi ce silence?